L’homme de Néandertal se soignait-il par les plantes ?
Depuis quelques années déjà, l'heure est à la réhabilitation de l'homme de Néandertal. Pendant longtemps, en effet, comme pour rejeter cet autre Homo loin de nous-mêmes et nous glorifier par contraste, nous en avions fait un rustre, un lourdaud, un charognard dénué de l'usage de la parole, de spiritualité, de raffinement, de technicité, d'art. Tout cela, ou presque, ne tient plus. L'image de cette "autre humanité" est en cours de révision poussée. Néandertal était un artisan habile, un chasseur émérite, qui donnait des sépultures à ses morts, fabriquait des parures et utilisait des pigments, peut-être même pour orner ses grottes. Une étude internationale que vient de publier la revue Naturwissenschaften confirme ce que l'on supputait depuis peu, à savoir que notre cousin disparu il y a moins de trente millénaires avait intégré des plantes à son régime alimentaire. Cet article va même plus loin en présentant des arguments tendant à prouver que Néandertal utilisait des plantes médicinales.
Pour déterminer tout cela, ces chercheurs ont travaillé sur des fossiles découverts dans la grotte espagnole d'El Sidrón (Asturies) où quelque 2 000 restes de Néandertals, appartenant à au moins 13 individus différents, ont été mis au jour au fil des ans. Plus précisément, ils se sont intéressés au tartre se trouvant sur les dents de 5 d'entre eux et au matériel alimentaire pris au piège dans ce dépôt. Ils ont pratiqué des analyses chimiques tout en recherchant des microfossiles végétaux. Neuf des dix dents contenaient de minuscules grains d'amidon, provenant probablement de céréales. Cela a confirmé que Néandertal, longtemps considéré comme essentiellement carnivore (notamment parce qu'on avait découvert sur les sites beaucoup d'ossements animaux, qui se conservent mieux que les plantes...), savait aussi exploiter les réserves de glucides des végétaux.
Mais les auteurs de cette étude ont surtout été intrigués par la dent d'une jeune femme. L'analyse du tartre a montré des traces de composés chimiques que l'on trouve dans des plantes médicinales comme la camomille ou l'achillée millefeuille, ainsi nommée en hommage au héros grec Achille car celui-ci avait appris du centaure Chiron l'art de s'en servir pour guérir les blessures (elle a, entre autres, des vertus hémostatiques). Selon ces chercheurs, on ne mange pas ces plantes au goût amer (et Néandertal possédait la capacité génétique à détecter ce goût) par hasard :"Obtenir la preuve que cet individu mangeait des plantes amères et sans valeur nutritive comme la millefeuille et la camomille est une surprise, explique Stephen Buckley, co-auteur de l'étude et spécialiste de chimie archéologique à l'université d'York (Grande-Bretagne). Nous savons que Néandertal trouvait ces plantes amères et il est donc probable qu'elles ont été choisies pour autre chose que leur goût."
Pour sa collègue Karen Hardy, archéologue à l'université autonome de Barcelone, l'étude suggère que "les Néandertals qui occupaient la grotte d'El Sidrón avaient une connaissance avancée de leur environnement naturel, qui incluait la capacité à sélectionner et utiliser certaines plantes pour leurs qualités nutritives et pour l'auto-médication. Alors que la viande était clairement importante pour eux, nos recherches soulignent qu'ils avaient un régime alimentaire bien plus complexe que ce qui avait été supposé auparavant." Bien sûr, les chercheurs restent prudents sur le côté "Néandertal médecin" et mettent des points d'interrogation dans leur étude. Sans doute faudra-t-il répéter ce genre d'analyses sur d'autres sites préhistoriques. Néanmoins, la possibilité d'un homme de Néandertal capable de se soigner par les plantes est-elle au fond, si surprenante que cela ? N'a-t-on pas déjà montré que d'autres grands primates, chimpanzés et gorilles, eux aussi cousins d'Homo sapiens, se servent de toute une pharmacopée végétale ?
Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter)