Mariage, adoption, filiation : l'impatience des homosexuels
De l'espoir, de l'impatience, de la fébrilité, voire un peu d'inquiétude. Ces sentiments dominent parmi les gays et les lesbiennes, à la veille de la Marche des fiertés de Paris, à laquelle quelque 500 000 personnes sont attendues, samedi 30 juin. "C'est une marche particulière, car le contexte est inédit, observe Nicolas Gougain, porte-parole de l'Inter-LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans), qui organise la marche parisienne. Jamais nous n'avons été aussi proches d'obtenir des droits nouveaux. Mais on n'y est pas encore."
L'entretien donné par la ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti, auParisien, vendredi 29 juin, ne répondra pas à leurs questions. Si elle rappelle une nouvelle fois la volonté gouvernementale de tenir les engagements de campagne de la gauche en ouvrant le mariage et l'adoption aux homosexuels, elle reste floue sur le contenu de la réforme et son caractère plus ou moins restrictif. La ministre rejette également l'idée d'une accélération du calendrier réclamée par certaines associations. "Il faut prendre le temps de l'écoute et de la discussion (...), déclare-t-elle. Même si c'est un peu long, la loi est notre engagement et, je le crois, elle sera votée en 2013."
"On a assez attendu !", estime au contraire Stéphane Corbin, porte-parole de la Coordination interpride France, organisatrice des Marches des fiertés en régions, qui ont déjà rassemblé quelque 80 000 personnes. Pour lui, le vote de la loi aurait dû intervenir "dans les 100 jours". "Les réformes sociales vont aller vite et peuvent être menées de front avec d'autres, poursuit M. Corbin. On n'aurait pas pureprocher au gouvernement d'avoir privilégié des sujets symboliques."
Le travail sur le détail du texte n'a pas commencé, ni chez Mme Bertinotti ni chez la ministre de la justice, Christiane Taubira. Certaines modifications du droit de la famille semblent d'ores et déjà acquises. Le mariage serait ouvert aux homosexuels avec tous les droits qu'il comporte pour le couple (droit d'hériter du conjoint, de toucher sa pension de réversion...). L'adoption conjointe deviendrait possible par des couples de même sexe. Mais elle devrait dans les faits restermarginale vu le faible nombre d'enfants adoptables.
Pour le reste, c'est l'inconnu. Dans une réponse à l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, le candidat Hollande s'était engagé, le 6 mars, àpermettre l'adoption d'un enfant par le concubin, le partenaire de pacs ou l'époux de son parent biologique, "sans discrimination". Cette adoption par le parent "social" répondrait par exemple aux attentes des couples de lesbiennes qui ont conçu un enfant par insémination, dans lesquels la deuxième "mère" n'a aucun lien légal avec l'enfant.
"PRÉSOMPTION DE PARENTÉ"
Mais les associations veulent aller plus loin. "Le mariage et l'adoption ne règlent pas tout, affirme Nathalie Mestre, présidente des Enfants d'arc-en-ciel, une association de parents. Une adoption est une démarche complexe, qui peutprendre jusqu'à deux ans. Nous voudrions que la filiation soit établie de la même manière pour nous que pour les hétérosexuels."
C'est-à-dire, en premier lieu, que la présomption de paternité inscrite dans le mariage soit remplacée par une "présomption de parenté". L'épouse de la mère biologique d'un bébé conçu par insémination serait ainsi automatiquement considérée comme son deuxième parent légal. Pour les couples qui ne souhaitent pas se marier, les associations revendiquent que le parent "social" puisse établir la filiation avec l'enfant de leur partenaire en le reconnaissant en mairie. Une possibilité qu'ils voudraient voir étendue aux cas de coparentalité, quand les enfants sont issus de plus de deux personnes (un couple de femmes et un homme, ou un couple de femmes et un couple d'hommes).
L'équipe de M. Hollande avait écarté, pendant la campagne, l'inscription de plus de deux parents dans l'état civil d'un enfant. Une extension des possibilités de partage de l'autorité parentale, y compris d'ailleurs dans les familles recomposées hétérosexuelles, était en revanche envisagée, ce qui correspond au "statut du tiers" évoqué par Mme Bertinotti. Quant à la "présomption de parenté", elle ne figure pas dans la proposition de loi socialiste de 2011 sur le mariage homosexuel, dontFrançois Hollande était le deuxième signataire.
Même si une majorité de Français se dit favorable au mariage gay, les réformes devraient être très débattues. "Notre droit est fondé sur l'existence de deux liens de filiation, l'un paternel, l'autre maternel, relève Françoise Dekeuwer-Défossez, professeur de droit de la famille. Dire qu'il n'y a plus un père et une mère mais des parents, c'est un grand bouleversement." Preuve du caractère toujours sensible du débat, Mme Bertinotti a été huée lors de l'assemblée générale de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), vendredi 22 juin, lorsqu'elle a évoqué"l'égalité entre les familles".
Les associations homosexuelles seront donc vigilantes. Le souvenir du "couac" du pacs, quand le Parti socialiste n'avait pas mobilisé suffisamment de députés pour éviter le rejet du texte, en 1998, reste présent.
Gaëlle Dupont
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