Enquête sur les origines de l'Univers
Avec La Pensée de Dieu, leur nouveau livre dont nous publions en exclusivité de larges extraits, Igor et Grichka Bogdanov poursuivent leur exploration de l'Univers et leur quête d'un sens. Une fois de plus, ils tentent de répondre à la question sur laquelle butent toujours les scientifiques : par quel miracle tout a été si bien réglé pour que notre Univers voie le jour ?
Igor et Grichka Bogdanov. Crédits photo : JFP/GRASSET
Maître, qu'est-ce que vous cherchez dans vos équations? Einstein ne répond pas tout de suite. Lentement, il regagne son bureau et s'assied juste en face de la jeune fille. Peut-être troublé par la beauté ambiguë de son étudiante, il soupire puis lui prend la main et murmure, à mots à peine soufflés: «Je veux savoir comment Dieu a créé l'Univers. Je ne suis pas intéressé par tel ou tel phénomène, tel ou tel élément. Je veux connaître la pensée de Dieu.» La pensée de Dieu! Le mot était lâché. Il allait faire le tour du monde. Provoquer des révoltes dans les laboratoires, engendrer des polémiques et susciter d'interminables discussions: aujourd'hui encore, cette petite phrase continue à entretenir le débat. Jusqu'au physicien Stephen Hawking qui se demande dans son célèbre ouvrage Une brève histoire du temps pourquoi l'Univers existe et lance dans la toute dernière ligne: «Si nous trouvons la réponse à cette question, ce sera le triomphe ultime de la raison humaine - à ce moment, nous connaîtrons la pensée de Dieu.»Pour certains, cette phrase étonnante pourrait bien devenir l'horizon de la science du XXIe siècle, comme l'affirme le légendaire théoricien américain Freeman Dyson: «Le défi est de lire la pensée de Dieu.» Afin de découvrir pourquoi l'Univers existe. Par quel «miracle» il a surgi tout à coup du néant, il y a treize milliards d'années. Pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Et pourquoi ce «quelque chose» a engendré de la vie et de la conscience. Les réponses à ces questions admettent seulement trois hypothèses. La plus simple - mais aussi la moins scientifique - consiste à défendre l'idée selon laquelle l'Univers, la conscience et la vie sont le résultat d'un formidable «hasard cosmique» et de rien d'autre. Dans ce cas, la vie est apparue «par hasard» et notre existence est parfaitement arbitraire: comme l'affirmait en son temps Jean-Paul Sartre, «le monde est absurde».
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Deuxième hypothèse: celle des univers «parallèles». Selon les défenseurs de cette idée, l'univers dans lequel nous vivons ne serait que la version «gagnante» d'une infinité d'univers stériles: l'existence de l'univers «ordonné» dans lequel nous vivons n'aurait rien de remarquable puisqu'il serait perdu dans une multitude d'univers chaotiques. Disons-le sans détour: bien qu'à la mode, cette hypothèse n'est pas plus scientifique que la précédente. D'abord parce qu'elle n'est pas vérifiable expérimentalement. Mais surtout parce que dans tous les Univers possibles, les mathématiques resteraient forcément les mêmes que «chez nous». Et comme la réalité physique est entièrement déterminée par les mathématiques qui la sous-tendent, il est vraisemblable que l'on retomberait sur le même Univers que le nôtre.
D'où la troisième hypothèse, qui nous semble le plus en lien avec la science, celle d'un Univers unique et structuré par des lois physiques: dans ce cas, l'évolution cosmologique ne laisse rien au hasard et la vie apparaît comme la conséquence inévitable d'un scénario dicté, avec la plus haute précision, par les lois de la physique. Un Univers unique. Dans cette perspective, un code sous-jacent, d'essence mathématique, un peu comparable au code génétique pour un être vivant, explique toutes les lois physiques et organise, avec une précision vertigineuse, les valeurs de toutes les constantes fondamentales entre elles, jusqu'à engendrer un univers ordonné et susceptible d'évoluer vers la vie et la conscience. En fait, de plus en plus de physiciens observent que les lois fondamentales de la nature doivent être calibrées avec la plus haute précision afin que des étoiles et des planètes puissent se former pour permettre à la vie d'émerger de la matière. Jusqu'à une date récente, le travail des scientifiques consistait, pour l'essentiel, à découvrir la nature des lois physiques et les conséquences de leurs applications. Mais ils s'interdisaient de se poser des questions sur la raison d'être de ces lois. Or avec les progrès de la science, il devient de plus en plus difficile de considérer qu'au moment du big bang, ces lois ont fait leur travail de structuration de la matière sans aucune raison particulière: les scientifiques ont désormais le droit de s'interroger sur le «pourquoi» de ces lois et de se demander si elles ont une raison d'être.
Dieu avait-il le choix?
Nous voici en 1951, dans le tranquille bureau qu'Einstein occupe à l'Institut des études avancées. C'est l'été. Les fenêtres sont ouvertes en grand sur le ciel et les magnifiques arbres du parc. Le maître est devant son tableau noir et trace de sa belle écriture ces équations de la relativité générale qu'il a écrites tant de fois. Soudain, il se tourne vers son assistant, le jeune physicien Ernst Straus. Son regard s'envole au-delà, vers l'invisible, lorsqu'il se demande à voix basse: «Est-ce que Dieu avait le choix lorsqu'il a créé l'Univers?»
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La question est incroyablement profonde. En un seul trait, elle nous renvoie un quart de siècle plus tôt, lorsqu'il écrivait: «En tout cas, moi, je suis convaincu que Dieu ne joue pas aux dés.»
Einstein n'a donc pas le moindre doute: l'Univers n'est pas né par hasard! Toutefois, même si l'Univers échappe au hasard, aurait-il pu être différent? C'est-à-dire gouverné par des lois différentes? Pour Einstein, les lois dans l'Univers ne pouvaient pas être différentes au moment de sa naissance. En d'autres termes, Dieu n'avait pas le choix! Quarante ans après Einstein, un savant anglais, sir Roger Penrose, de l'université d'Oxford, s'est posé la même question. En imaginant un immense tableau couvert de milliards de points désignant des Univers possibles, Penrose s'est demandé si le Créateur avait la liberté de poser son stylet sur n'importe quel point au moment du big bang pour engendrer un Univers plus ou moins comme le nôtre. Et là encore, sa réponse, très argumentée par des calculs, est la même que celle d'Einstein: le Créateur n'a aucune liberté de choix. Il n'existe qu'un seul point, parmi les milliards de milliards de milliards d'autres possibilités, sur lequel le Créateur puisse poser son stylet. Pour donner une idée de l'immensité de cette contrainte à l'origine, Penrose montre que la «chance» pour que le Créateur tombe par hasard sur le bon point est de une sur 10 puissance 10 puissance 123! C'est peut-être pour cela qu'un beau jour, Einstein a lancé en souriant: «Le hasard, c'est Dieu lorsqu'il se promène incognito!»
La véritable origine de l'Univers
A partir de maintenant, bien sûr, nous quittons la réalité explorée par la science pour entrer dans le domaine de la spéculation. Mais comme nous allons le voir, il nous restera en main un jeu d'hypothèses suffisamment solides pour en extraire quelques réponses nouvelles. La clef réside donc dans les deux formes du temps qui pourraient exister au moment du big bang.
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Il y a d'abord le temps de chez nous. Il s'écoule à chaque instant. C'est ce qui fait qu'une rivière coule, qu'un feu brûle dans la cheminée et que le soleil se lève le matin. Il est bien sûr étroitement lié à ce qu'on appelle l'énergie. A présent, voyons le temps imaginaire. Avec lui, plus de mouvement - le temps imaginaire ne s'écoule pas. Un peu comme un disque DVD hors du lecteur, dont l'histoire est comme gelée. Dans le temps imaginaire, il n'y a donc pas de place pour l'énergie. Qu'allons- nous trouver à la place? Ce que les experts, depuis quelques années, appellent l'information. En fait, c'est un peu la même chose que l'énergie, mais dans le temps imaginaire. C'est pourquoi nous allons alors remplacer toutes les unités physiques, sans exception, par ces unités qu'on appelle des «bits d'information» (un mot que, bien sûr, vous connaissez bien). Ainsi, le fauteuil sur lequel vous êtes assis peut être entièrement décrit (du moins en théorie) par les bits d'information qu'il contient. A présent, revenons à l'Univers primordial. Où allons-nous trouver ce fameux temps imaginaire? En fait, là où le temps réel cesse totalement d'exister: à l'instant zéro. Cet instant correspond bien sûr dans le modèle standard à ce qu'on appelle la «singularité initiale» marquant le «zéro absolu» de l'espace et du temps. C'est-à-dire, la véritable origine de l'Univers. De quoi s'agit- il? D'un point mathématique, inaccessible au calcul physique. A la différence de tout ce qui existe dans l'Univers, son essence profonde est totalement abstraite. A ce stade, il n'y a plus de matière, plus d'énergie et plus de temps. A quoi il faut ajouter - en y insistant bien - que sur ce point zéro, ce qu'on appelle l'entropie de l'Univers (c'est-à-dire, en gros, son désordre) est nulle. Cela est une conséquence naturelle du fameux principe de la thermodynamique si bien explicité au début des années 1900 par ce génie visionnaire qu'était Ludwig Boltzmann. Or, comme l'information est tout simplement «l'inverse» de l'entropie, cela signifie qu'à l'instant zéro, l'information caractérisant le pré-Univers doit être considérée comme maximale. Que pouvons-nous en déduire? Qu'à l'instant zéro, il n'existe rien d'autre que de l'information. Une réalité numérique, qui pourrait «encoder» sous une forme mathématique l'ensemble des propriétés qui, après le big bang, concourent à l'existence et à l'évolution de l'Univers physique. Comme le pensait Leibniz - et après lui tous ceux de l'école de Göttingen -, il peut exister un nombre plus vaste que l'Univers. Dans ce temps imaginaire où l'harmonie préétablie prend sa source, un nombre-Univers d'une grande pureté, hors de l'espace-temps, pourrait bien contenir la complexité la plus haute que l'esprit humain puisse imaginer. Et que la pensée de Dieu puisse concevoir.
La Pensée de Dieu, Igor et Grichka Bogdanov, Grasset, 280 p., 17 €.
Par Christophe Doré
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