Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé, vendredi 8 juin, dans les rues de Tel Aviv pour participer à la 14e Gay Pride organisée dans cette ville balnéaire israélienne. Après une semaine dédiée à la "culture gay", rythmée notamment par le concert de Madonna - lors duquel elle a par ailleurs représenté Marine Le Pen avec une croix gammée - les festivités continuent : parades, danseurs et drag queens ont succédé aux discours de différentes personnalités politiques, telles que Dan Shapiro, l'ambassadeur américain en Israël, Ron Huldai, le maire de Tel Aviv, mais aussi Sheli Yacimovich, leader du parti Labor, ou Nitzan Horowitz (Meretz), qui a déjà révélé publiquement son homosexualité.
Depuis une dizaine d'années, Tel Aviv s'est construite comme une ville au statut unique au sein d'Israël, une sorte de capitale homosexuelle très influencée par la culture occidentale, avec ses boîtes de nuit, ses bars "gay-friendly" et sa vie associative gay très développée. Une ville très tendance qui rappelle l'Europe, avec le soleil en plus, et élue meilleure destination touristique de 2011 par le site américain GayCities.com (largement devant New York et Toronto). "Tel Aviv est une exception dans la région, par rapport à ses voisins arabes, mais aussi au sein d'Israël, explique Sébastien Boussois, spécialiste de la question israélo-palestinienne et collaborateur à l'Université libre de Bruxelles. Elle s'est construite comme l'antithèse de Jérusalem, située à pourtant quelque 45-50 km seulement, où les juifs orthodoxes empêchent la tenue d'une Gay Pride depuis de nombreuses années."
Le surnom de la ville, "La Bulle", n'est d'ailleurs pas anodin. Cette expression a été créée par la droite israélienne pour pointer du doigt son évolution différenciée par rapport au reste du pays. Une expression négative pour dénoncer son autarcie et la corruption morale d'un mode de vie à l'occidentale qu'ils rejettent. Mais ce surnom a très vite été repris par la communauté homosexuelle, à l'exemple dutitre du film réalisé en 2002 par le réalisateur israélien Eytan Fox, The Bubble, qui raconte l'histoire d'un amour impossible entre un Israélien et un Palestinien à Tel Aviv.
DANS L'ARMÉE, MIEUX VAUT UN GAY ASSUMÉ
Si le gouvernement israélien n'a décriminalisé l'homosexualité qu'en 1988, six ans après la France, les homosexuels israéliens ont acquis de nombreux droits en très peu d'années. En plus de la reconnaissance des mariages homosexuels contractés en dehors du pays et de la légalisation des adoptions par des couples de même sexe, il existe de nombreux autres exemples de lois destinées à faireavancer les droits des homosexuels, comme l'adoption d'une politique anti-discriminatoire au sein de l'armée israélienne dès 1993.
A la même époque, les Etats Unis mettaient en place la loi "Don't ask, don't tell" ["Ne demandez pas, n'en parlez pas"], qui interdisait d'évoquer l'orientation sexuelle des recrues militaires, et qui a été annulée il y a seulement un an. Au contraire, depuis dix ans, l'armée israélienne a vécu "un véritable revirement : la franchise quant à l'orientation sexuelle est désormais encouragée par l'état-major, pour qui un gay assumé met moins son unité en danger", comme l'explique ce reportage du magazine Têtu réalisé en avril 2012.
Pour Sébastien Boussois, cette libéralisation des mœurs s'explique par le fait qu'Israël a toujours été "une terre de passage, un refuge avec une très grande influence extérieure et une importante connexion avec l'Europe, qui a toujours accueilli une grande diversité de nationalités et d'identités". Mais il s'agit de bien différencier les pratiques propres au "Milieu", c'est-à-dire la communauté homosexuelle très libérée, qui se revendique et s'affiche à Tel Aviv. "Le 'Milieu' ne représente qu'environ 10 % des homosexuels. Seul ce qui est assumé est visible", nuance Sébastien Boussois. La grande majorité des homosexuels subissent une forte pression sociale. "C'est facile d'assumer son homosexualité quand on est issu d'un milieu progressiste de juifs ashkénazes, mais c'est plus difficile pour les séfarades de Jérusalem", rappelle le chercheur.
UNE "GÉNÉRATION DU MUR" GAY-FRIENDLY
Cette problématique a récemment été illustrée dans le film de Haim Tabakmansorti en 2009, Eyes Wide Open [Tu n'aimeras point, en français], dans lequel,pour reprendre les mots de Jean-Luc Douin, "un homme marié et père de quatre enfants tombe amoureux d'un jeune et bel étudiant. L'aîné est boucher, l'autre devient son apprenti. Ils sont religieux l'un et l'autre, et les collègues de synagogue menacent de faire savoir à tout le quartier que la viande de ces gars-là n'est pas casher".
Dans une tribune publiée jeudi sur le site du quotidien israélien Haaretz, le chanteur de hip-hop Y-Love, converti au judaïsme ultra-orthodoxe en 2000, raconte la manière dont il a vécu la découverte de son homosexualité, secrètement, et acceptant les rendez-vous et vacances avec des femmes organisés par la communauté. Mais depuis son "coming-out", il y a quelques semaines, il a été étonné par l'ouverture avec laquelle il a été accueilli par son public, gagnant trois fans homosexuels à chaque fois qu'il en perdait un désapprouvant son orientation sexuelle.
Il dessine également les contours d'une "génération du Mur" en Israël, comparable à celle des pionniers homosexuels de New York en 1969. "Pour la première fois, même des adolescents orthodoxes ont accès à des refuges soutenant les LGBT[lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres], à des groupes de soutien et à des alliés. Et les voix anti-gay sont en train d'être marginalisées par une culture qui n'est plus nourrie par la bigoterie", écrit-il.
La question est de savoir si le virement religieux qu'est en train de vivre Israël risque ou non de rogner ces droits acquis au cours des vingt dernières années. Pour Sébastien Boussois, le pays est "en train de vivre une époque transitoire, à un moment où Benyamin Netanyahou ne peut se séparer des religieux pourdiriger le pays, mais malgré les tensions sociales des derniers mois, les droits des homosexuels ne devraient pas être remis en cause".
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